Le goût de l’encre. Rétrospective Monique Charbonneau
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Nb. de pages:
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Estampes et gravures où la nature morte occupe une place de choix.
Description
et des Presses de l’Université Laval
Dans le dernier tiers du xxe siècle en arts, tous interdits disparus, tous formats relégués, toutes prescriptions niées, le seul entendement commun fut peut-être la rage de communiquer. Sous le couvert, sincèrement évoqué, d’une volonté de démocratisation de l’accès aux biens culturels, nous avons été nombreux à nous attaquer aux mœurs intimidantes des galeries et des musées, à leur langage aux accents réservés, à leur refus plus ou moins explicite d’enseigner et de se faire comprendre. L’interaction, qui n’est que mode de communication, est souvent devenue l’œuvre et le message. Et l’artiste, bon gré mal gré, fut convié à débattre pour que personne, désormais, ne se sente exclu de sa démarche et de sa vision. Telle est encore la forme idéale d’échange dans les lieux où l’art se propose et s’expose, et il faut être disert pour avoir quelque chance de trouver une voie de passage dans l’entendement commun, désormais submergé d’interprétations du monde.
Or Monique Charbonneau intimide. Non pas au sens inhibant du terme, mais à son sens troublant. Son œuvre est connue, aimée, rassemblée, contemplée depuis ses débuts par les fidèles de l’art de leur temps, mais la discrétion de l’artiste est telle qu’elle a créé une distance palpable, indissociable de la fréquentation de son travail. J’entends encore le silence qui s’imposait autour de la grande table de notre Centre de conservation, où nous recevions il y a quelques mois son fonds d’estampes, certaines immenses et prodigieuses de virtuosité, que des mains littéralement gantées de blanc déployaient une à une, dans le froissement audible des papiers protecteurs. Comme si ce que la gravure disait — aimer ou se séparer, nager ou se noyer, oublier ou se souvenir, fleurir ou s’éteindre — nous était prêté plutôt que livré. Et que ce prêt, consenti pour partager et non pour séduire, était l’ultime générosité, peut-être impossible à recevoir.
Si la réserve naturelle et voulue de Monique Charbonneau va à contre-courant, son travail ne se situe pourtant pas à la marge où tant de créateurs sont vivement priés désormais de s’installer. Elle a fait confiance à des techniques et à des matériaux venus du fond des temps, elle a accompagné toutes les recherches de sens au Québec de l’après-Révolution tranquille, relecture des rapports entre les êtres, relecture des rapports avec la nature, relecture des rapports avec les mortes croyances. Et elle a imprimé tout cela, en multiples, pendant longtemps, avant de se donner le droit de solitude qu’est désormais la peinture.
C’est délibérément que nous avons choisi d’offrir, au public de la Grande Bibliothèque, cette expérience de la retenue dans la proposition de la beauté. Outre son rapport existentiel avec l’imprimé sous toutes ses formes, avec tous les livres, y compris ceux des artistes, une bibliothèque a aussi le devoir d’incarner le contrepoint des bruits ambiants, de donner ou de prêter de l’intimité à chacun, au sein même de l’espace public. Son silence n’est plus une règle absolue mais son refus de l’agitation est la plus nécessaire des dissidences contemporaines. Tout comme l’oeuvre de Monique Charbonneau.
L’artiste est la première envers laquelle nous sommes redevables. En alliant modestie et esprit de décision, elle a soutenu les choix de la commissaire, Hedwidge Asselin, qui avait accepté cette entreprise avec la conscience des risques d’interprétation que pose l’art toujours vivant. L’exposition n’est ni une rétrospective ni la marque d’un achèvement, on y trouvera peu de documents d’archives ou de repères chronologiques trop précis. Sa qualité est tributaire de la supervision passionnée de notre directrice de la programmation culturelle, Christine Bouchard, qui a pu compter, pour le catalogue, sur les talents de rédacteur, de chercheur et de réviseur d’Éric Fontaine, membre de cette équipe qui compte aussi en ses rangs les chargées de projet, Julie Derouin et Geneviève Murray. Nous remercions particulièrement les prêteurs, qui ont complété l’apport des fonds de l’artiste et de ceux de Bibliothèque et Archives nationales du Québec. Ce goût de l’encre fut un véritable partage.