Les éditeurs québécois et l’effort de guerre, 1940-1948
-
Nb. de pages:
180
Description
et des Presses de l’Université Laval
L’effort de guerre des éditeurs québécois est un phénomène méconnu du public. Malgré la publication de travaux étalés sur plus d’une trentaine d’années, le rôle des éditeurs de guerre dans la diffusion des idées et la promotion de la littérature québécoise n’est encore apprécié que de quelques spécialistes. L’exposition que Bibliothèque et Archives nationales du Québec offre aujourd’hui au grand public veut aider à combler cette lacune.
Il est vrai que les éditeurs eux-mêmes, personnages relativement secrets et peu enclins à dévoiler les arcanes de leur métier, n’ont guère aidé leur cause auprès du public, tirant leur fierté et leur pouvoir symbolique de cet effacement même. En général, les éditeurs préfèrent travailler dans l’ombre, fréquenter les coulisses et oeuvrer loin des regards indiscrets, cédant le devant de la scène à leurs auteurs et à leurs livres. Leur catalogue est leur chef-d’œuvre. Même si les firmes qu’ils dirigent portent souvent leur nom, ces noms de société désignent moins une personne qu’une entreprise incarnant une idée, un esprit et un ensemble d’ouvrages qui, avec le temps, effacent jusqu’à leur existence.
Cette exposition veut redonner vie et visage à ces travailleurs de l’ombre qui, durant l’une des périodes les plus tourmentées de l’histoire de l’humanité, ont joué un rôle de premier plan dans la diffusion d’une parole de liberté et d’espoir. Sur leur propre terrain, ils ont participé au développement de ce qu’on appelait à l’époque la littérature canadienne et à la promotion d’une littérature française jusque-là maintenue sous le boisseau par le clergé.
À partir des années 1930 et, surtout, au cours de la Deuxième Guerre mondiale, les éditeurs se sont faits pédagogues, promoteurs, accoucheurs de manuscrits, voire provocateurs. Ils ont anticipé les demandes du public, bousculé les idées reçues et ébranlé les colonnes du temple clérical. Ils sollicitèrent les auteurs, suscitèrent de nouvelles œuvres, créèrent des collections et lancèrent des appels d’offre tout en étant ouverts aux propositions des jeunes écrivains francophones provenant des horizons les plus divers. Ils ont participé au mouvement des idées qui traversaient les milieux littéraires, intellectuels et scientifiques de l’heure. Leurs sélections sont révélatrices du nouvel esprit et des grands courants de pensée qui soufflaient sur l’Occident en guerre. Paradoxalement, la guerre a été favorable à cet épanouissement intellectuel sans précédent dans les annales du Québec ; « les pires maux, engendrent parfois de bons effets » écrit Louis-Marcel Raymond dans Le jeu retrouvé.
Dans un climat d’effervescence et de créativité exceptionnel, les éditeurs s’approprièrent la littérature mondiale et proposèrent à leurs lecteurs une bibliothèque d’ouvrages où les nouveautés, québécoises comme françaises, côtoyaient les plus grandes œuvres du répertoire de l’humanité. À travers leurs sélections, ils jetaient un regard neuf sur le monde et opéraient un nouveau découpage dans la sphère intellectuelle.
La valeur des œuvres est fondée sur le regard de ceux qui se les approprient. Conscients de leur rôle dans la valorisation des textes qu’ils publient et des contraintes économiques qui limitent leur action, les éditeurs sont sans doute plus aptes que les écrivains ou les critiques à prendre conscience de l’historicité de leurs choix et de la valeur sociale de leur propre lecture. Il fallait un écrivain doublé d’un éditeur comme Robert Charbonneau pour bien comprendre et exprimer cette vision basée sur l’expérience. Après la guerre, lorsque des forces extérieures tentèrent de freiner l’essor de l’édition québécoise, Charbonneau prit la parole, notamment dans La France et nous, pour défendre les choix de ses collègues et proclamer bien haut l’autonomie de la littérature canadienne et la fin du colonialisme culturel. Cette prise de position préfigurait bien le changement de mentalité qui allait se généraliser au cours de la Révolution tranquille.
- Avant-propos de Jacques Michon