« Voici dessiné, dans ce livre, un portrait aussi convaincant que terrible d’une rencontre qui n’en fut pas vraiment une, en même temps qu’elle le fut pour le meilleur et pour le pire. Une rencontre dont on peut dire qu’elle est encore, de nos jours, bien incertaine, tant le legs dont nous héritons comporte d’occultations et de visions déformées. Ce tableau, destiné à notre connaissance, vise notre responsabilité commune de citoyens, et il n’est pas question ici de culpabilité ; il s’agit de la rencontre, d’une part, des Innus, mot qui signifie « les hommes ou les humains », mais que les premiers explorateurs ont désignés du vocable de « Montagnais », c’est-à-dire habitants des montagnes et, d’autre part, des Européens et de leurs descendants établis dans l’espace devenu colonial depuis l’arrivée des missionnaires et de ceux que la tradition orale innue qualifie de « chercheurs de terre ». Si vous vous attardez à regarder le tableau couvrant près de cinq siècles d’histoire, vous imaginerez, à la disposition et aux postures des personnages, à leurs regards et à leurs attitudes, deux solitudes, peut-être entendrez-vous des voix discordantes selon les acteurs et les époques. Une impression de racisme et de mépris devrait transparaître. Par contre, pour qui s’attarderait aux détails et à tout ce qui est légèrement hors champ, pourraient émerger plusieurs traces d’accommodement, d’apparentement, d’emprunts. Des voix multiples se croisent en ce tableau : récits de voyages, relations, mémoires, rapports, tous curieusement semblables d’un siècle à l’autre. Ces voix, n’importe-t-il pas de les entendre, de les écouter pour nous libérer ensemble du legs colonial de notre histoire commune ? »
Denys Delâge