Le récit de voyage passe pour un genre indéfinissable, oscillant entre le compte rendu d’une aventure, l’inventaire des particula rités locales et le commentaire qui médiatise ou interprète la diversité. La narration d’un séjour en pays étranger se ramifie à vrai dire en plusieurs sous-genres qu’il est difficile de regrouper, si ce n’est par des traits liés à son contenu, au déplacement dans l’espace et à l’engagement plus ou moins marqué du sujet qui rapporte les événements. Sur le plan discursif, l’alternance fréquente entre le déroulement chronologique et le découpage thématique témoigne de flottements génériques. Malgré les hésitations formelles quant au canevas à adopter, les relateurs semblent disposer d’un protocole implicite d’écriture, ce que suggèrent le paratexte liminaire et les réflexions métadiscursives disséminées au fil des relations, journaux de bord, mémoires, histoires et descriptions, quel que que soit l’intitulé qu’ils donnent à leurs écrits. Ce sont précisément ces règles sous-jacentes, mais aussi les constances de ce genre « nomade » ou hybride que tentent de mettre au jour ces enquêtes multiples. Il s’agit de voir comment le relateur cherche à ordonner et à investir, d’une finalité autre que temporelle ou spatiale, une trame diégétique entrecoupée, à donner sens et cohésion à des observations brutes ou recueillies au hasard des rencontres. À travers le récit de voyage se déploient entre les lignes des normes ou des habitudes scripturales (exigence de la nouveauté, affirmation de véracité, quête de la singularité ou de l’anecdote divertissante, multiplication des références savantes ou des réminiscences livresques, traces de réécriture ou poétisation de la réalité, transposition théâtrale ou romanesque de certains épisodes), bref, autant d’indices qui témoignent d’une tradition littéraire propre au discours viatique, mais aussi d’une volonté de faire œuvre.