Un miracle ordinaire
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Nb. de pages:
234
Description
La princesse : Je vous ai poursuivi pendant trois jours. J’ai perdu votre trace quand la tempête s’est déclenchée. Ensuite, j’ai rencontré un chasseur et je suis devenue son apprenti.
L’Ours : Vous m’avez poursuivi pendant trois jours!
La princesse : Oui. Pour vous dire que vous m’êtes indifférent. Sachez que vous ne représentez, pour moi, rien de plus que la grand-mère de quelqu’un d’autre. Je n’ai aucune envie de vous embrasser et je ne suis jamais tombée amoureuse de vous. Adieu! (Elle part et revient.) Vous m’avez tellement blessée qu’il faut que je me venge. Je vous prouverai que vous m’êtes indifférent. Je mourrai, mais je le prouverai! (Elle part.)
Un miracle ordinaire d’Evgueni Schwartz (1896-1958) est l’une de ses pièces les plus aimées et les plus jouées en Russie. Les nombreuses mises en scène de cette œuvre reflètent des compréhensions fort différentes de la nature de son rire ; elles se situent entre les pôles de la haute satire et de l’ambivalence carnavalesque. Tout comme les autres fantasmagories réalistes du théâtre héroïco-lyrique de Schwartz, Un miracle ordinaire unit les lois artistiques du conte merveilleux et l'esthétique de la comédie sociale. Cependant, dans cette pièce – l’une des dernières créations d’Evgueni Schwartz, parachevée et mise en scène à Moscou et à Leningrad pour la première fois en 1956 –, le caractère éthico-philosophique des problèmes essentiels est plus explicite que dans ses textes écrits pour la scène auparavant. Le « miracle » dans l’univers que cette comédie de fées respirant l’optimisme tragique sous-entend est « ordinaire », non seulement parce qu’on ne pourrait pas définir autrement la nature de ce qui s’y produit – il n’y a pas d’autre nom, c’est tout simplement un miracle, ni plus ni moins –, mais aussi parce que les miracles, tout en restant, par définition, extraordinaires (inexistants ?), sont omniprésents et indispensables : il serait irréaliste de s’en passer. Le lecteur de Schwartz est invité à chercher la stabilité dans les métamorphoses, ou encore dans leur absence : dans la fidélité inconditionnelle – peut-être impossible – à son choix dialogique, fidélité désespérée à soi-même. Il est censé croire à la réalité non assujettie aux normes du quotidien et savoir que c’est seulement le prodige qui offre le salut. Libre d’illusions, ce lecteur est également tenu de se rendre compte que, dans son – dans notre – monde désespérément privé de l’harmonie prédéterminée, c’est uniquement le miracle qui garantit le bonheur impossible à ceux qui s’aiment.