Le but de cette étude est de montrer que le souverain bien est le concept central de la philosophie kantienne. À contre-courant de l’interprétation qui s’est imposée dans les études kantiennes depuis le néo-kantisme, il apparaît à une lecture attentive que ce concept n’est ni problématique ni superflu, comme on l’a longtemps prétendu. Au contraire, l’unité de la philosophie théorique et de la philosophie pratique, de la nature et de la liberté, n’est possible et envisageable selon Kant que dans la perspective du souverain bien comme but final de la raison pure. Cette position suppose une interprétation téléologique de la raison pure qui n’est plus entendue uniquement comme une structure transcendantale d’intelligibilité mais aussi et surtout comme une faculté possédant des besoins, des intérêts, et poursuivant un but. Elle conduit en outre, inévitablement, à une relecture métaphysique de la philosophie de Kant qui présente le souverain bien comme le foyer (focus originarius) vers lequel converge le faisceau des questions métaphysiques ultimes qui mobilisent la raison pure. Or, ces questions fondamentales de la métaphysique, qui touchent au sens de l’existence humaine, rejoignent les préoccupations centrales qui caractérisent la philosophie depuis ses origines. Ainsi, suivant en cela les indications données par Kant dans la Critique de la raison pratique, on tentera de définir la tâche de la philosophie comme le faisaient déjà les Anciens, pour qui elle devait indiquer : « […] le concept dans lequel il faut enseigner le souverain bien, ainsi que la conduite à suivre pour l’acquérir ».