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L'apocalypse d'Adam (NH V,5) (BCNH "Textes" no 15)

L'apocalypse d'Adam (NH V,5) (BCNH "Textes" no 15)

Parution: 13 janvier 1990

Description

La lecture d'un texte exige du lecteur une connaissance du contexte de rédaction de l'ouvrage. En effet, la création ex nihilo n'est pas une prérogative humaine, tous les textes sont le témoignage de l'environnement de l'auteur, de ses intérêts et de ses affiliations. Les hérésiologues ont associé les différents gnostiques et les ont opposés en écoles. Les manuscrits conservés dans la bibliothèque copte de Nag Hammadi proviennent, sans aucun doute, d'un ou plusieurs de ces groupes gnostiques. Il est important d'identifier les différentes écoles gnostiques ainsi que l'origine du texte que l'on veut étudier, on peut ainsi utiliser ce texte pour expliquer les tendances théologiques de l'école et, à partir de ces tendances, l'expliquer ou l'apprécier différemment. Tel est le cas pour l'Apocalypse d'Adam. Ce traité est considéré comme un témoin de la littérature séthienne. Cette école est mentionnée par les hérésiologues et de nombreux autres textes trouvés à Nag Hammadi font partie de cette mouvance. Les séthiens ont créé un système mythologique audacieux et original. Notre connaissance de ce système nous permet dans l'ensemble de combler les lacunes laissées par l'Apocalypse d'Adam, ce qui nous permet de reconstituer en bonne partie son contexte doctrinal et théologique.

L'Apocalypse d'Adam est le cinquième et dernier texte du codex V de Nag Hammadi. Ce codex contient également l'Épître d'Eugnoste le Bienheureux, l'Apocalypse de Paul, et les deux Apocalypses de Jacques. La langue de ce texte est le sahidique, un dialecte copte, mais le texte copte serait la traduction d'un original grec. Le texte est assez bien conservé, bien que le bas des feuillets soit le plus souvent abîmé, d'où quelques lacunes. Le papyrus est d'une qualité inférieure, comparé aux autres papyrus utilisés dans les divers codices de Nag Hammadi. Cette impression d'ensemble est encore renforcée par l'apparence plutôt négligée que présente le travail du copiste. Des fragments de papyrus trouvés dans la couverture du codex V permettent d'établir que ce codex a été réalisé dans le premier quart du IVe siècle de notre ère. Le texte original grec de l'Apocalypse d'Adam est daté par Françoise Morard du début du IIe siècle E.C.

Ce texte se présente comme une révélation donnée par Adam à son troisième fils, Seth, juste avant sa mort. Cette révélation entend enseigner à Seth le déroulement de l'histoire de l'humanité depuis la création du premier couple «dans la gloire» (64,1) jusqu'au jugement final. La première partie de cette révélation (64,1-67,14) se retrouve souvent dans les écrits gnostiques et surtout séthiens. Les auteurs gnostiques ont récrit l'histoire de la création en utilisant les grandes lignes et les structures du récit de la Genèse mais en la réinterprétant et en modifiant certains épisodes. Cette partie concerne la soumission d'Adam et Ève au Dieu qui les a créés mais qui est cependant inférieur à eux; car tous deux sont issus d'un monde supérieur, et leur essence divine précède leur création matérielle par ce Dieu. Toutefois, ce Dieu les sépare, leur fait oublier leur véritable origine et leur fait perdre leur gloire, alors ils le servent «dans la crainte et l'esclavage» (65,20). Adam est tiré de son oubli par trois hommes venant du royaume supérieur, mais ce réveil n'est pas suffisant et il est puni pour son manque de loyauté vis-à-vis du Dieu qui l'a créé. Ce Dieu engendre un fils avec Ève, et Adam est affligé d'un «doux désir» pour elle (67,4). La seconde partie de la révélation (67,14-85,30) concerne les événements à venir, qui ont été révélés à Adam par les trois hommes. Les thèmes principaux sont les tentatives répétées du Dieu créateur de supprimer la progéniture de Seth (qui, de par sa nature, lui est étrangère). Le principal motif est de permettre la réécriture et la réinterprétation de la Genèse. Les différents cataclysmes qui prennent place dans le récit sont décrits comme permettant au Dieu créateur de détruire la semence de Seth. Malgré cela, ses tentatives sont continuellement repoussées par des anges glorieux qui viennent au secours des victimes. Le récit est ponctué par les trois passages d'un illuminateur, dont la manifestation diffère à chaque fois et dont l'identité demeure voilée, et qui vient révéler à la progéniture de Seth la vraie situation. Chaque passage de l'illuminateur est suivi d'un déchaînement de fureur de la part du Pantocrator, symbolisé successivement par le déluge d'eau et de feu et la persécution du troisième illuminateur. Mais chaque épreuve est aussi accompagnée d'un salut pour les élus de la gnose, ceux qui auront su reconnaître les envoyés d'en haut et résister à l'emprise du Démiurge et à son esclavage dans la crainte de la mort. Le châtiment du troisième illuminateur dans sa chair, malgré la tradition séthienne, a pu être assimilé à la passion du Christ par les gnostiques chrétiens. Ce châtiment, suivi du trouble des treize royaumes de la terre et du combat eschatologique, débouchera sur le jugement final par lequel se clôt le traité.

Françoise Morard, dans son introduction et son commentaire, classe l'Apocalypse d'Adam dans la littérature séthienne, surtout en raison de la place prédominante faite à Seth dans cet écrit. En effet, non seulement le personnage de Seth est l'interlocuteur privilégié d'Adam et le dépositaire de sa révélation, mais encore l'analyse plus poussée du traité permet d'y découvrir les grandes étapes et les figures marquantes qui caractérisent l'ensemble du système séthien. Ces renseignements nous sont fournis par les hérésiologues et par certains des textes de Nag Hammadi qui nous ont permis de mieux connaître ces doctrines, tels que l'Apocryphon de Jean, l'Hypostase des archontes, l'Écrit sans titre sur l'origine du monde et le Deuxième traité du Grand Seth. La comparaison avec ces autres textes de Nag Hammadi de tradition séthienne permet de combler certaines lacunes mythologiques de ce traité. Par exemple, son auteur n'expose que très brièvement le récit de la création et de la chute, de même qu'il ne distingue pas les deux Èves (la spirituelle et la charnelle). Or, ces autres textes nous montrent de façon plus détaillée qu'il faut voir dans Ève non seulement la compagne d'Adam, mais aussi une envoyée capable de renseigner le premier homme sur la Gloire qu'elle seule a vue et sur le Dieu éternel qu'elle seule connaît. Par cet éclairage, les différents éléments de la doctrine de l'Apocalypse d'Adam nous paraissent beaucoup plus compréhensibles et nous permettent de mieux expliquer certaines allusions ou certaines tournures de phrase de l'auteur, en sachant à quelle doctrine sous-jacente il fait référence. Cette comparaison avec les autres textes séthiens nous permet également de mieux comprendre le personnage du troisième illuminateur.

L'exposé de Françoise Morard nous aide aussi à appréhender différemment les relations entre le système séthien et le christianisme. Elle rejette une trop simple conception binaire des textes séthiens comme étant non chrétien ou superficiellement christianisé. Mais elle soutient que, s'il demeure évident que l'auteur du traité utilise toute la technique et le cadre de l'apocalyptique juive pour s'exprimer, il est tout aussi évident que son message, lui, est repensé dans les perspectives de la gnose et d'une gnose dont l'ensemble du récit nous amène à estimer qu'elle connaissait les données de la révélation chrétienne.

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